« L’Institut National de la Femme est un havre de paix, avec de larges bras ouverts pour toutes les femmes qui endurent des violences et des discriminations, et qui cherchent un soutien. »
— Mme Huguette Gnacadja, Présidente de l’INF
Nous sommes un mercredi du mois de janvier de l’année 2024. Il est à peine 9h30 lorsque nous nous présentons à l’accueil de l’Institut National de la Femme. Nous avions rendez-vous à 10h.
Installés dans l’espace d’attente, il ne nous faut que peu de temps pour voir arriver celle qui avait accepté de nous recevoir, sans la moindre hésitation.
C’est une femme empreinte de sérénité, arborant un sourire chaleureux et faisant preuve d’une courtoisie remarquable qui vient à notre rencontre (tout comme elle l’a fait avec chaque personne dans la pièce) et nous prie de patienter avant de se rendre à son bureau.
À 10h00, on nous informe qu’elle est prête à nous recevoir. Quelle ponctualité !
« Je m’appelle Hugette Bokpè, épouse Gnancadja. Je suis avocate au barreau du Bénin depuis maintenant 31 ans. Depuis septembre 2021, date à laquelle j’ai commencé à collaborer avec l’institut, je suis omise du tableau, mais je continue d’exercer en tant qu’avocate. Par ailleurs, je suis également consultante en droit de l’homme et en genre depuis l’année 2000. Actuellement, je suis fière d’occuper le poste de présidente de l’Institut National de la Femme.Ma passion pour la défense des droits de la femme, de la fille et de l’enfant reste inchangée. Je me définis comme quelqu’un qui nourrit de nombreux rêves et passions, sans se limiter à une seule compétence. »

Ainsi se présentera t-elle à l’équipe de Belles et Actives qui a eu le bonheur de rencontrer cette icône inspirante du monde juridique et de la protection de la femme au Bénin. Laissez-nous partager avec vous les moments chaleureux de notre entretien avec elle.
Lidvie Mensah et Egnidé Sewedo
Bea : Nous avons pris connaissance de nombreux écrits élogieux à votre sujet, mettant en lumière votre bienveillance, votre générosité et votre vaste vision. Quelle vision avez-vous pour l’Institut National de la Femme ?
Me Huguette Gnacadja : Je vois l’Institut National de la Femme comme un havre de paix, avec de larges bras ouverts pour toutes les femmes qui endurent des violences et des discriminations, et qui cherchent un soutien. Je perçois l’Institut comme un apporteur de solutions et un gardien du respect des lois en vigueur dans notre pays. Pour moi, l’Institut est une sentinelle, une source de secours, répondant à de nombreuses attentes.
Bea : Quelles sont ces attentes d’après vous ?
Me Huguette Gnacadja : Les femmes attendent qu’on les reçoive, qu’on les écoute sans les juger. Qu’on les comprenne, qu’on les aide à trouver des solutions adaptées à ce qu’elles peuvent gérer même si c’est un peu difficile. Je suis certaine que quand nous aurons des « maisons de la femme » où elles pourront rester pour une période de transition lorsque le fait pour elles de décider de dire non à la violence emporte qu’on les mette à la rue (bien que cela ne soit pas autorisé par la loi), nous aurons fait un pas.
Beaucoup de femmes vivent avec leur mari dans la maison familiale, ce qui rend difficile la possibilité de le faire partir en cas de violence (dans le cas de situations graves qui le justifient). La création de lieux neutres pour un séjour temporaire de deux à trois mois, dans ces cas, pourrait constituer une alternative pertinente. Certaines femmes ont du mal à rester chez des proches en raison des charges financières que cela peut générer.
On ne mesure pas toujours les implications pour une femme lorsqu’elle décide de dire non à la violence, surtout lorsqu’elle dépend financièrement de l’auteur des violences. Cela engendre une série de décisions complexes à prendre, un bouleversement quotidien, et la nécessité de trouver diverses solutions aux attentes exprimées. C’est à toutes ces attentes que l’INF est appelé à répondre.
Encadré : Justice et protection pour toutes !
L’INF prend en charge les frais de justice, le transport, la restauration et même l’hébergement des victimes économiquement vulnérables afin de garantir un accès égalitaire à la justice.
Bea : Quel est le rôle majeur de l’institut face à ces attentes ?
Me Huguette Gnacadja : L’Institut est le garant de l’application des lois. Heureusement, au fil des années, nos lois se sont renforcées. Nous sommes passés du droit pénal, couvrant les coups et blessures volontaires, à des lois spécifiques sur les violences faites aux femmes et aux filles. Trois nouvelles lois adoptées en décembre 2021 renforcent la répression des infractions liées au sexe, criminalisant notamment le mariage précoce ou forcé et l’excision.
En parallèle, des mesures telles que l’accès gratuit à la justice, un soutien social et psychologique, ainsi qu’une assistance juridique gratuite sont fournies aux victimes vulnérables sur le plan économique, garantissant l’accès à un avocat.
Pour surmonter les obstacles liés à la distance géographique, l’Institut national prend des mesures concrètes. Ainsi, si une victime vit loin du lieu de justice, elle bénéficiera d’un transport aller-retour, d’une restauration pendant son séjour à Porto-Novo pour les infractions relevant de la CRIET*, de la présence d’un avocat, et même d’un logement si elle n’en dispose pas dans la région. Ainsi, aucune différence n’est faite entre une victime éloignée et celle résidant à Cotonou ou Porto-Novo.
En outre, l’Institut propose un accompagnement, car toutes les affaires ne nécessitent pas forcément de recourir à la justice. Certaines sont résolues à un niveau plus informel, notamment celles liées à la vie conjugale, comme la garde des enfants, une pension non payée ou des menaces.
Bea : De quelle manière les femmes établissent-elles le contact avec l’INF ?
Me Huguette Gnacadja : Nous disposons d’un numéro WhatsApp auquel chacun peut nous appeler. Près de 90% des plaintes nous parviennent via ce moyen de communication. Il est également possible de se rendre directement au siège de l’Institut. Une adresse e-mail est également mise à disposition. Prochainement, nous lancerons notre site web, qui sera lié au numéro WhatsApp et affichera également l’adresse e-mail. Cela signifie que, où que l’on se trouve, le contact peut être établi directement lorsqu’on
Un numéro WhatsApp au service des femmes en détresse
Près de 90% des plaintes parviennent à l’INF via un simple message WhatsApp. Un canal accessible, rapide et sécurisé pour toutes les femmes ayant besoin d’écoute et de soutien.
Dans un avenir proche, le processus sera encore plus fluide avec la désignation de nos points focaux au niveau communal. Ces points focaux seront hébergés dans les centres de promotion sociale (CPS), un par commune. Dans les départements, des antennes départementales seront établies, ce qui multiplie les moyens de saisine de l’Institut de la Femme. Les points focaux ont été désignés et formés, et leur installation ne tardera pas. Il se dessine ainsi un maillage territorial renforçant la présence de l’Institut, le rapprochant davantage des populations.
Vers un réseau national de protection des femmes
L’INF renforce son action avec la mise en place de points focaux communaux et antennes départementales, intégrés aux Centres de Promotion Sociale (CPS), pour rapprocher l’institution des bénéficiaires.
Bea : Quels autres types de demandes recevez-vous et comment y répondez-vous ?
Me Huguette Gnacadja : L’INF n’a pas compétence en matière d’autonomisation économique des femmes vulnérables victimes de violence. Cette responsabilité relève du ministère des Affaires sociales et de la Microfinance. À ce niveau, il s’agira d’un processus de référencement entre l’Institut, le ministère, ainsi que des partenaires internationaux et des ONG proposant des formations. Par conséquent, après l’assistance juridique, le volet insertion et soutien financier est pris en charge par des partenariats.
Le deuxième volet, lié aux attentes légitimes des femmes, vise à promouvoir le leadership féminin. Il commence par un renforcement moral et psychologique, facilitant la découverte des talents et la confiance en soi des femmes. Après cette phase initiale, nous les orientons vers des partenaires pour une formation entrepreneuriale. Nous apportons également un soutien spécifique aux femmes parlementaires pour la réussite de leur mandat, dans le cadre de notre engagement envers les jeunes femmes en quête de modèles et de conseils pour développer leur leadership.
Encadré : Leadership féminin : une priorité pour l’INF
L’institut accompagne les femmes en quête de leadership à travers un renforcement moral et psychologique, suivi d’une orientation vers des formations entrepreneuriales adaptées.
Bea : Comment incitez-vous ces femmes à vous rejoindre et à s’impliquer auprès de votre institution ?
Me Huguette Gnacadja : Nous avons récemment développé une stratégie de communication pour diffuser largement notre mission et nos services. Grâce à un réseau féministe dynamique, principalement composé de jeunes, et à des plateformes actives, nous sommes impliqués dans de nombreuses activités avec les jeunes, les ONG et les étudiants. Ces initiatives témoignent d’un fort intérêt des jeunes pour notre accompagnement.
Bea : Disposez-vous de méthodes pour évaluer l’efficacité de vos initiatives ?
Me Huguette Gnacadja : En décembre, nous avons évalué notre situation et avons traité environ 1500 dossiers, rendant une centaine de décisions de justice. Nous collaborons avec Yatchégbo, une ONG hébergeant des femmes. Bien qu’il n’y ait pas encore de centres d’hébergement, notre partenariat avec cette structure nous permet de diriger les femmes vers elle, même celles accompagnées d’enfants en bas âge. La diffusion des statistiques est prévue pour la fin de l’année 2024.
Bea : Comment l’INF perçoit-elle l’évolution des conditions des femmes dans d’autres régions, telles que la loi sur le congé menstruel en Espagne ?
Me Huguette Gnacadja : C’est un regard positif d’observateur, car nous nous efforçons de combler les lacunes juridiques en matière de droits des femmes et des filles au Bénin. Récemment, lors de discussions avec des parlementaires, j’ai souligné la nécessité de trouver des solutions pour les femmes béninoises non mariées civilement, dépourvues de statut légal.
Même après plusieurs années de vie commune, ces femmes peuvent être méconnues sur le plan juridique, créant ainsi un vide crucial où l’absence de liens légaux se traduit par l’absence de partage de biens. Nous nous informons des avancées dans d’autres régions, envisageant de nous en inspirer pour améliorer la situation au Bénin. Une priorité inscrite dans notre plan de travail annuel 2024 est une étude exploratoire sur les modèles de leadership féminin au Bénin, remontant à avant l’indépendance et examinant les valeurs endogènes qui soutiennent les femmes. Nous croyons fermement que cette approche, enracinée dans nos traditions, contribuera à renforcer notre action à l’INF.
Encadré « La vie est une succession de choix et de décisions »
« Pour chaque femme, il est essentiel d’avoir une indépendance financière. C’est une clé pour réduire les risques de violences prolongées et permettre une prise de décision autonome. »
— Mme Huguette Gnacadja
Bea : Comment l’INF perçoitBea : Quels conseils ou appel souhaitez-vous adresser aux femmes et aux filles ?-elle l’évolution des conditions des femmes dans d’autres régions, telles que la loi sur le congé menstruel en Espagne ?
Me Huguette Gnacadja : Il est primordial que les femmes prennent conscience que la vie est une succession de choix et de décisions. Bien que la peur puisse être présente, elle ne doit pas constituer un frein. Parfois, il est difficile de savoir si le chemin choisi est sûr, mais l’absence de décision entrave nécessairement notre avancement. À un certain moment, prendre des décisions devient incontournable.
Pour toute femme, qu’elle soit déjà active professionnellement ou une jeune fille, il est crucial de veiller à avoir des revenus propres. Le pouvoir de décision permet à une femme de choisir d’être femme au foyer, mais cette décision doit être prise en toute connaissance des implications qui en découlent. Mon intention n’est pas d’imposer le travail aux femmes, mais il est sage d’en tenir compte.
Ce conseil s’applique également aux jeunes filles, car de nombreuses adolescentes interrompent leurs études ou leur emploi à la demande de leur partenaire, et cette situation conduit souvent à des difficultés.
Il est crucial d’avoir des revenus, car l’incertitude quotidienne et les événements imprévus sont inévitables. Cultiver ce réflexe devient donc une nécessité. Mon expérience en tant qu’avocate, ainsi que les témoignages à l’INF, suggèrent que l’autonomie financière des femmes et des jeunes filles contribue à réduire les risques de subir des violences prolongées. Bien que cela ne garantisse pas une protection absolue, cela leur offre la possibilité de prendre des décisions en cas de violence mettant leur vie en danger.
Mon souhait est de partager ce message avec toutes les femmes et jeunes filles, afin que les expériences douloureuses d’aujourd’hui puissent prévenir d’autres femmes et les aider à éviter les mêmes épreuves.